jeudi 8 avril 2021

Saisons

Les saisons n'étaient plus que des musées, que nous visitions au gré de nos humeurs vacillantes. Nous avions préféré au lointain brasillement silencieux des astres évocateurs la luminescence criarde de nos écrans et les rassurants halos orangés de nos réverbères. Nous amoindrissions les cahots du chemin jadis promesses d'inconnu dans le confort aseptisé de nos salons climatisés, dopés que nous étions aux échos d'un monde désormais étranger, pulsant aux rythmes décadents d'une quotidienneté pervertie par nos abus soporifiques. Les mystères ne s'étaient pourtant pas enfuis, et ils nous drapaient au même titre que jadis de leurs éternels oripeaux. Mais nous ne leur étions plus sensibles, car nous avions préféré les certitudes imaginaires, les formules creuses et la vacuité de prévenances artificielles aux aléas du réel.

La première fois que je la vis, c'était en rêve. Elle me devançait de peu dans un épais brouillard. Nous étions hors d'haleine, poursuivis à travers les ruines de l'ancienne cité. Nous courûmes et courûmes dans la lumière blême des lampadaires, assez longtemps pour semer nos poursuivants, puis nous nous arrêtâmes dans une cour tapissée de graffitis délavés par les ans. Nos respirations se détachaient nettement dans l'air froid et humide. Nous laissâmes s'écouler quelques instants en silence, puis elle m'embrassa avec fougue et je la pris là, de suite, par derrière, ses mains s'agrippant aux mailles distendues d'une vieille clôture, nos respirations redevenant saccadées jusqu'à un commun crescendo, puis baissant à nouveau de concert. Sans dire un mot, elle rajusta son pantalon, m'embrassa sur la joue, sourit tristement, puis disparut dans l'aube naissante.



mercredi 21 mars 2018

Sur les berges de mes ancêtres

Sur les berges de mes ancêtres profanées, clairons atones
Qui des lendemains hypothéqués chantent les charmes de
notre Amour dilapidé aux quotidiens de nos peines Limpides
mes larmes s'écoulent sur tes mille visages jamais connus
qu'ont adoré ces autres Moi égarés aux confins de toutes les
cruautés si tendres qui jalonnent notre mémoire Perdue sans
espoir de te retrouver Et nos mains enlacées ne sont plus
qu'un vague souvenir qu'efface le ressac du Midi de nos
jours anéantis Qu'aurons-nous alors après ces siècles infinis
lorsque tes boucles dorées se seront abîmées par-delà les
berges téméraires de nos ébats macabres? Tout et rien,
des bribes fuyantes, ces saisons éclatantes de ténèbres
souillées par les astres impassibles J'aurais voulu J'aurais
dû J'aurais pu et pourtant les vaisseaux ont levé l'ancre
et la jetée le Jeté sables brûlants ma
peau désséchée le Silence, linceul sidéral
et le vent balaie les dunes
de ce passé tortueux

Dans les corridors du temps

les régularités les régularités
les régularités qui résonnent
dans les corridors du temps
aux confins infinis oubliés
par les anges maléfiques coiffés
des tiares perdues Enfin
nos deuils apparaissent à l'aube
de toutes toutes toutes les nuits
que Tu n'as jamais non jamais
ni hier ni aujourd'hui non jamais
laissées libres libérées
Et enfin reniées exilées
abandonnées
sans jamais
te retourner
ainsi nos tombes scellées
nos corps enlacés nos lèvres
tes lèvres mes lèvres
brûlantes de vespérales illusions
carillons sourds crépuscules
s'estompant t'enfuyant Je
t'ai perdue ô mon Amour

mercredi 17 janvier 2018

Hiératiques mensonges

Aubes révolues et sanglantes aux espoirs diaphanes, où sont enfuis vos hiératiques mensonges? Ère de bolides fantomatiques dépassant des bornes imaginées sur les ruines implacables de mes songes, j'assiste en statue impuissante aux impatiences destructrices, emplâtré d'idéaux foisonnants aux sources de mes déchéances insensées sans cesse renouvelées par les eschatologies tyranniques de ceux qui n'osent encore pleinement réclamer leurs sinistres usures.

Qui êtes-vous pour me dévisager d'orbites creuses et de regards atermoyés par les ans impitoyables, arrachés aux vitalités cadavériques d'un monde qui exige d'eux ce qu'ils n'ont jamais voulu tout en devant le mériter? Toi, ô Soleil, haut perché sur ton trône, tu ne te soucies guère de nos dettes ni de ces noces imposées aux âmes errantes, taxées du berceau au linceul par le fleuve du temps et la sottise des hommes.

Tu ricanes et te moques de nos funestes espérances, les miennes et celles de tous ces potentats ballistiques, faisant ployer sous ta déferlante lumineuse nos oniriques prétentions, les irridiant sous l'oeil inchangeant de tes distantes semblables dispersées aux confins enténébrés de l'océan astral.

Ô sentinelles sidérales, tisserandes cosmiques aux reflets aussi éphémères que mes désirs ou mes espoirs, aussi pluriels que mes chagrins, n'êtes-vous là-haut jamais attendries de mes échecs, ou révoltées de mes peines? Et pourtant, je sais que rien ne sert de vouloir vous atteindre, car mon coeur brûle aussi sûrement que vous en votre lointaine demeure, et qu'enfin toutes nous périront dans le froid infini, dispersées par l'invisible septentrion de l'absence et de l'oubli tout-puissants.

samedi 25 novembre 2017

Les routes de ma sénescence

Les routes poussiéreuses de ma sénescence, encombrées de souvenirs hypostasiés sous le fardeau tutélaire d'un avenir aux encorbellements postfactuels, déroulent lascivement leurs imprévisibles rubans au-delà de mes horizons évanouis, réclamant une impossible libération à l'ère des autonomies illusoires.

Tant de longues journées s'écoulent ainsi, à ramper sous l'égide écrasante de l'astre effondré, aux luminosités blêmes et rougeoyantes, en suivant machinalement le rythme indolent d'une jouvence plastique alambiquée d'innombrables casuistiques, de logomachies suintantes du sang de toute ces vérités sacrifiées sur l'autel des anciens dieux, lugubre panthéon dont les insoupçonnés abysses ternissent davantage la pénombre crépusculaire d'une époque égarée sur les rails tordus d'un paradigme mensonger.

Pourtant, au détour d'une montagne d'immondices, je la retrouve, fidèle Caïssa, oasis inépuisable, resplendissant de ses possibilités infinies, joyau scintillant déployant encore son obscène luxuriance lumineuse dans le désert ténébreux de nos jours, affichant l'air narquois et scabreux qui lui donne ce panache inimitable, doublé de cet inestimable sourire capable d'inonder le sépulcre aride des promesses reniées et les tombeaux désséchés des seigneurs hypocrites.

Sans l'ombre d'une hésitation, j'abandonne la sinistre nécropole, je franchis à nouveau le seuil de ses jardins, ce refuge qui refuse la déliquescence des structures friables s'autoproclamant éternelles, ces lieux métalinguistiques qui s'enrichissent à tout instant de nouvelles essences insaisissables et intemporelles, source intarissable, carrefour des enchevêtrements imaginaires autant archaïques qu'actuels; j'y puise les éléments d'un céleste caparaçon, armature onirique, sentinelle de mes échecs, et j'érige une structure luminescente qui déploie son originalité inutile à travers les glorieuses étamines aux interstices trop étroits de mes sensibilités, édifice aux solives solitaires cloîtrées dans l'infini, ancrées dans l'éphémère et l'insubstantiel, parées d'éthérées calcédoines aux mille reflets à la fois trompeurs et véridiques, et enfin je donne naissance à l'illusion salvatrice d'un aérien mégalithe, clef de voûte d'une nef estompant les turpitudes des ans.


mardi 21 mars 2017

L'or et l'écarlate

Les potentiels évanescents des ombres éternelles, glissant chaque instant furtivement d'une surface à l'autre, éperdus de leurs insensés rêves d'obscurités aussi profondes et planes que l'ont été mes vespérales insignifiances, ou encore eussé-je alors à cette époque crépusculaire osé dire espérances, leur octroyant un immérité relief, conjurant à l'aube de la nuit sans fin d'imaginaires horizons coextensifs à mon infinie chute hors du temps, ou bien plutôt, dussé-je dire, broyé par les irréels et inexorables engrenages de celui-ci, du haut de sa chaire épiscopale, les yeux révulsés, un rictus horrible - mais ô combien familier! - déformant la transparence opaque de son visage néantisé et néantisant... m'y fussé-je véritablement aventuré, au sein de ce passé désormais lointain et révolu, attesté par quelques vagues écrits, et ce, avant que les ténèbres ne se fussent dissoutes d'elles-mêmes dans les surgissements diaphanes de la temporalité morte et postspatiale qui guette le seuil innomable au nom de ceux qui n'ont jamais existé?

Mené par ces improbables guides dont je n'avais pas l'assentiment, non pas que je le voulusse d'aucune manière, par-delà ou en aval (qui saurait dire?) des bornes d'une renaissance aux limites confuses et tâtonnantes, les sonorités et les luminescences jadis syncrétiques, qui sans toutefois prétendre aux harmonies sublimes des goûts et des sensations protoceptives, et aujourd'hui risibles, se sont peu à peu détachées les unes des autres pour s'affranchir de leur unicité indistincte, prenant un essor inespéré et se séparant sans se soustraire seulement à leurs congénères encore bien trop proximaux, phalanstères confusément appréhendés dans l'histrionique débâcle de mes hypostases récurrentes.

Et là, soudain, surviennent l'or et l'écarlate, le doré chaleureux de l'astre diurne et le vif cinabre de mes veines gonflées, à l'orée de l'écartèlement de toutes les absences iridescentes: sèves et minéraux rugissent leur joie d'être éveillés, et de pourchasser à nouveau l'indispensable totalité épistémique et destructrice, se parachevant dans quelque futur impensable et inévitable, appréhendant sans peur le renouveau du cycle mortel, la chute qui conditionne l'élévation, et sur la cime des montagnes accueillir les abysses obscurs d'un printemps impérial drapé du porphyre solaire, souverain sous nos illusions, lui qui toujours renaît de ses propres fatalités enchanteresses et qui sème dans la naissance le germe rédempteur et truculent de la mort.

mercredi 15 février 2017

Hivernal nouménal

Aspiré vers les profondeurs célestes et ténébreuses de mon esprit vagabond, ayant depuis un temps incalculable laissé la luxuriance des jardins de Caïssa loin derrière moi, ayant aussi abandonné l'immense enchevêtrement des bibliothèques, à jamais avilies et suspendues par-delà le champ de leurs significations multipliées, inextricables et vides, j'ai rencontré ce vieil Indien peu volubile fumant sa pipe aux arômes kaléidoscopiques sur la route délabrée des débris énucléés de civilisations agonisantes, aux confins de la mer des déceptions, vaste étendue grise et vaseuse parsemée de cadavres pestiférés, sacrifiés sans vergogne sur l'autel des ambitions immodérées des hommes du Nord, issus de l'hiver et du désespoir.

Il m'attendait, avec la sagace patience de celui pour qui la totale insignifiance est un cadeau divin. Il m'attendait, et sa pipe était le chemin vers nulle part, aussi peu - et autant - alpha qu'oméga, et il lui a suffit de laisser quelques inoffensives arabesques vaporeuses m'encercler et m'ensorceler pour qu'il me tienne en son pouvoir qui n'en est pas un, m'offrant la liberté incommensurable du néant en échange.

Les couleurs et les sons, assortis de quelques intempestifs souvenirs désagrégés dans la marmite insondable et calcinée de temps révolus et presqu'archaïques, sont ici tout ce qu'il me reste de Caïssa et de ses indélébiles charmes, louvoyants comme autant de fractales libérées du joug de la nomenclature. Et cela même s'évanouit dans une nuit sans obscurité et sans fin, dans une grisaille où les éléments s'unissent pour n'être plus que de vagues impressions dont l'uniformité quelconque me laisse oser imaginer l'unité primordiale du cosmos qui sera rompue, je le pressens, par la diversité des opérations logico-sémantiques d'une conscience attendrie par sa propre impossibilité chaotique entraperçue dans un miroir, parabole grossissante, farandole rythmée par d'intangibles tambourins et galoubets; autant dire que ce sont là les gages de l'infini et du multiple, musique originelle oubliée dès le commencement.

Ces noumènes éthérés, qui se frottent sur un corps que je ne possède plus depuis déjà longtemps, semblent nager dans l'océan dont ils sont eux-mêmes constitutifs, s'engendrant l'un l'autre, sinueux et lents protéiformes, maîtres d'indéterminations décisives à peine soutenables pour les lambeaux de mon être qui s'enfoncent dans leur indicible bouillie, aux potentiels multiples mais innomables, aux terreurs et aux joies encore indifférenciées, premier carrefour et dernière divergence. Tout est là, dans la blancheur terne d'un hiver incandescent et immobile, tout est prêt à surgir à nouveau, pour se déployer sur l'axe incontestable du réel circulaire.